1. Objectifs scientifiques
Au cœur du massif karstique de la Fontaine de Vaucluse, le LSBB permet d’accéder à des échelles d’étude habituellement inaccessibles qui vont de la fracture avec son écoulement (61 à ce jour) à un continuum de 14 000 m2 (sous 30 à 519 m de couverture), avec tous les intermédiaires, notamment un bloc de 5 m de coté et 20 m de haut (5 forages). Il est donc possible d’y étudier les problèmes de changement d’échelles avec de réelles possibilités de validation. Le projet a pour finalité d’aboutir à une modélisation numérique (prenant en compte les différentes échelles spatiales et temporelles mises en jeu par le système) de sa structure complexe, des flux associés et d’élaborer les méthodologies nécessaires pour la caractérisation du milieu et à la mise en œuvre des outils de modélisation.
Les principaux objectifs scientifiques des expériences ou suivis sont les suivants :
- Développer une approche multi-méthodes et multi-échelles de caractérisation du milieu (en surface, en forage et en souterrain directement via les galeries) appropriées à l’imagerie du sous-sol dans les milieux très hétérogènes.
- Acquérir les données nécessaires à la caractérisation de la partie capacitive du système et de la variation du stock d’eau qu’elle emmagasine.
- Acquérir les données nécessaires à la caractérisation structurale du système devant aboutir à la création d’un géo-modèle 4D permettant de spatialiser les paramètres géophysiques et hydrogéologiques.
- Etudier le fonctionnement hydrodynamique (transmissif et capacitif) de la zone non saturée des systèmes karstiques.
- Etudier les échanges géo-, hydro- et physico-chimiques (voire bio-) que le fonctionnement hydrodynamique induit.
- Acquérir les données nécessaires pour tester et valider les méthodes de modélisation hydrogéologiques adaptées aux milieux fracturés.
2. Les suivis effectués et principales expérimentations menées sur site
Dans ce cadre, plusieurs suivis et expérimentations sont menées au LSBB afin de fournir des données pertinentes, y compris des chroniques ou expériences long terme, pour la caractérisation, la quantification et la modélisation des transferts d'eau et d’éléments de cet aquifère complexe et hétérogène. Les principaux suivis concernent :
- Le suivi climatique du site : 2 stations météorologiques Campbell sont installées depuis 2008, au bas et au sommet du laboratoire (mesures des précipitations, du rayonnement solaire, de la force et direction du vent, de la pression atmosphérique et de la température au pas de temps de 15 min).
- La caractérisation hydrogéophysique et hydrogéodésique du site : l’approche scientifique retenue consiste à coupler une large gamme de méthodes géophysiques (méthodes électriques, électromagnétiques, gravimétriques, RMP et sismiques) afin de caractériser les propriétés géo-physiques à l’intérieur et notamment au dessus de la galerie du LSBB. La répétition des mesures dans le temps (monitoring) et dans l’espace (en surface, en souterrain dans les galeries et dans les forages) devrait permettre d’aboutir à une caractérisation fine du milieu (paramétrisation commune d’un géo-modèle 4D intégrateur) autant que de préciser les limites de résolution, de sensibilité et la complémentarité des techniques de mesures géophysiques vis-à-vis des mesures hydrogéologiques pour caractériser les paramètres hydrodynamiques en 4D en milieu complexe
- Le suivi hydrodynamique et hydrochimique des écoulements du site : à la différence de l’approche spéléologique, les galeries du LSBB explorent arbitrairement la matrice carbonatée ; elles recoupent ainsi un ensemble de fissures et fractures au travers desquelles l’eau précipitée s’écoule naturellement pour rejoindre la zone saturée. 61 points d’écoulements ont ainsi été identifiés, géoréférencés et percés jusqu’à la roche. 5 points, dont 4 présentent un écoulement pérenne, sont suivis depuis 2003. Les autres ont été identifiés plus récemment suite à un changement des conditions pluviométriques au cours de l’hiver 2008. Les écoulements font l’objet de mesures, prélèvements et analyses bimensuels (mesures du débit, du pH, de la conductivité électrique et analyses chimiques en laboratoire des ions majeurs, du carbone organique total, de quelques isotopes, 13C et 180) ; le nombre d’écoulements varie en fonction des conditions hydrogéologiques.
3. Projets développés
Caractérisation structurale et capacitive du milieu
Le LSBB permet un accès depuis la surface et jusqu’à plusieurs centaines de mètres de profondeur à la zone d’infiltration d’un réservoir carbonaté dont la porosité et la fracturation sont très hétérogènes dans les différents faciès présents aussi bien dans leur extension horizontale que verticale. L’imagerie du réservoir, l’observation de son fonctionnement, la modélisation de sa réponse aux sollicitations naturelles (vibrations sismiques, pluies, …) et anthropique telles que les injections de fluides (eau, CO2), et la mise en évidence des variations temporelles des propriétés du réservoir qui résultent notamment des variations de saturation de la zone non saturée, sont explorées par différentes approches géophysiques (sismique et sismologie, radar, électrique, électromagnétique, gravimétrie, déformation, inclinométrie, densitométrie) complémentaires de l’approche hydrogéologique. Plusieurs échelles sont considérées selon les processus observés et suivant les capacités de résolution des outils (ex. : décamétrique pour la sismique à décimétrique pour le radar). L’ensemble est réalisé en interaction par plusieurs équipes (notamment EMMAH, GSRC, GEOAZUR, LEAT, UPPA, Géosciences Montpellier, …), au travers de différents programmes de recherche (ANR HPPPCO2, MAXWELL, LINES, programme INTERIMAGES, P&U T2DM2, …) et plusieurs thèses (Emeline Maufroy, Benoit Derode, Pierre jeanne, Jan Beres, Dikun Yang, Daryl van Vorst, Rob Eso, Sabrina Deville et Simon Carrière) récemment achevées ou en cours. L’ensemble est coordonné dans l’axe thématique du LSBB « réservoir carbonaté poreux fracturé, dynamique hydro-géophysique des processus et interaction avec les ondes ». Un travail de synthèse et de fusion des différentes mesures est en cours dans le cadre de la thèse de Simon Carrière débutée fin 2010. Quelques exemples des campagnes de mesure déjà acquises sont présentés ci-dessous :
Etude du fonctionnement hydrodynamique et géo-hydro-chimique
Les premiers suivis des points d’écoulements au sein du LSBB ont permis de mettre en évidence la variabilité spatiale et temporelle de leur comportement. Cette variabilité et la localisation des points soulèvent des questionnements quant à l’organisation des écoulements au sein de la zone non saturée, en fonction notamment de la profondeur, de la structure locale de la roche (lithologie, fracturation, etc.) vs leur hydrodynamique et leur caractéristiques chimiques.
Les 5 écoulements suivis entre 2003 et 2007 ont fait l’objet d’un suivi hydrodynamique, hydrochimique et isotopique (pH, conductivité électrique, température, chimie des majeurs, carbone 13 du carbone minéral total dissout – 13CCMTD, COD – Carbone Organique Dissout, et silice) à pas de temps hebdomadaire sur les cycles hydrologiques 2003-2004 et 2004-2005, et journaliers lors des fortes crues. Le couplage des informations apportées par les traceurs du temps de transit de l’eau au sein de l’encaissant tels que le magnésium, la matière organique (COT) et la silice a permis de réaliser une classification qualitative des écoulements au sein de la Zone Non Saturée selon les grands types de fonctions (Garry et al., 2006). Ainsi, même si dans la réalité, tous les intermédiaires sont envisageables, la Zone Non Saturée a été décomposée en trois ensembles : un capacitif, un transmissif, et enfin un ensemble intermédiaire ayant un fonctionnement hybride entre capacitif et transmissif (Garry, 2007 ; Garry et al., 2008). Egalement, l'utilisation du 13CCMTD dans la discrimination des écoulements a permis de faire évoluer le modèle conceptuel classiquement admis. En effet, contrairement à l’idée reçue, les réservoirs alimentant les écoulements à caractère capacitif peuvent être considérés comme des sous-systèmes fermés vis-à-vis du CO2 biogénique, contrairement aux écoulements à caractère transmissif qui sont ouverts sur le CO2 biogénique (Garry, 2006).
Par ailleurs, l’utilisation des matrices d’excitation-émission en fluorescence naturelle a permis de caractériser plusieurs types de Matières Organiques Dissoutes (MOD) et de suivre l’évolution de celles-ci à la fois dans les sols au cours des saisons (variations saisonnières d’indices de fluorescence dans les sols), mais aussi tout au long de leur trajet dans le système (décalage des maxima de fluorescence des massifs). Cette méthode de caractérisation s’avère efficace pour marquer et différencier une masse d’eau particulière. En conséquence, elle permet d’identifier l’origine (traçage spatial) ou encore la période d’entrée dans le système (traçage temporel) des MOD (Blondel et al., soumis ; Pépin Donat et al., soumis). La finalité est de développer un traceur pouvant être appliqué de façon continue à un grand nombre de types d’écoulements karstiques. La diminution au cours du temps de la taille des molécules fluorescentes permettait déjà une approche qualitative des temps de séjour. C’est pourquoi des indices d’humification, basés sur le mode de calcul du HIX (humification IndeX), ont été retenus pour essayer de développer un traceur quantitatif du temps de séjour. L’étude de l’évolution de leurs valeurs moyennes sur deux cycles hydrologiques a permis d’établir une relation significative entre les HIX relatifs aux massifs et le temps de séjour moyen des écoulements (Blondel et al., 2010).
Depuis 2008, un changement de conditions pluviométriques a provoqué l’apparition de nouveaux écoulements non pérennes. Leur nombre (61) est maintenant plus représentatif de la variabilité des comportements hydrodynamiques et chimiques au sein de la zone non saturée et permet l’établissement d’une typologie plus fine. Les premières études ont mis en évidence une organisation des écoulements fonction de la profondeur et de la fracturation (Périneau et al., soumis).
4. Collaborations et chercheurs impliqués
Le LSBB est une plateforme collaborative qui permet aux chercheurs de disciplines interagissant d’ordinaire peu, tant chaque domaine est en soi vaste à explorer, de développer des programmes de recherche permettant d’étudier la dynamique de systèmes complexes. Ces systèmes associent connaissance du milieu, phénomènes physiques et mesures, et font interagir plusieurs axes thématiques qui définissent l’espace interdisciplinaire de développement des programmes de recherche et de R&D du LSBB :
- Réservoirs carbonatés, comportement dynamique des milieux poreux et fracturés associé aux transferts de masse, aux injections et aux vibrations sismiques,
- Epikarst et zone non saturée superficielle et profonde du karst, rôles dans la dynamique des transferts de pression et de masse dans l’aquifère,
- Magnétométrie et magnétisme terrestre, phénoménologie et couplages magnétiques,
- Interaction des ondes sismiques avec les milieux poreux et fracturés, suivi temporel des perturbations hydrauliques du milieu,
- Caractérisation de l’environnement radiatif naturel et interaction rayonnement – matière (ex. : effet des particules ionisantes sur l’électronique, densitométrie par flux de muons)
- Développements métrologiques et tests instrumentaux motivés par les programmes de recherches et par la R&D industrielle (notamment : inclinométrie, magnétométrie basse température, neutronique) qui bénéficient des qualités et propriétés de l’environnement et des équipements spécifiques de l’infrastructure pour être menés à bien (ex. : salle propre, forages, capsule blindée, fibres optiques, magnétomètre à SQUID basse Tc, antenne sismométrique large bande 3D, suivi hydrogéochimique, stations météorologiques, GPS).
Ainsi, au-delà du SOERE H+, plusieurs laboratoires des Universités d’Avignon, Nice et Marseille et de l’INSU sont directement associés au LSBB qui entretient également des collaborations fortes avec, par exemple, les Universités de Savoie, Pau et Vancouver, le CEA-DASE, l’IRSN et l’ANDRA. Le LSBB diffuse ses données sismiques dans les réseaux ORFEUS et IRIS, et notamment, est directement impliqué dans 3 projets ANR (LINES, MAXWELL et HPPPCO2) et 2 projets région PACA (PHYDROMED et PETROPRO).
5. Valorisation des données acquises
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- La caractérisation climatique, géologique, géophysique (en surface, en forage et en souterrain directement via les galeries) et hydrogéologique du site sont des données de base utile à l’ensemble des équipes travaillant sur le site.
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- Les données climatiques acquises par les 2 stations météorologiques depuis 2008 sont disponibles via une base de données accessible en ligne.
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- Les données géologiques incluent un relevé géologique et géotechnique sur les 3700 m de galeries réalisé au moment du creusement, un MNT à l’échelle 5 m et une cartographie géologique de surface. Au sein du laboratoire, 5 forages carottés de 20 m de profondeur et implantés à 280 m sous la surface délimitent un bloc sur lequel un modèle structural détaillé est en cours d’élaboration.
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- Les données géophysiques acquises et en cours d’acquisition ont pour finalité l’imagerie multiparamètres de l'évolution temporelle des propriétés du réservoir poreux et fracturé, due aux transferts de pression et de masse, sous l'effet des pluies, mais aussi sous l'effet des injections dynamiques. L’ensemble des méthodes sont mises en œuvre à différentes échelles du bloc décimétrique à métrique, jusqu’à l’échelle kilométrique du LSBB (53 Hectares) en passant par les échelles intermédiaires. A titre d’exemple, la dynamique des couplages THMBC en milieu poreux et fracturé, étudiée dans le cadre d’une collaboration issue de l'ANR HPPPCO2 (coll. GSRC, GEOAZUR, LGIT + SITES, PETROMETALIC, INERIS) s’intéresse aux échelles décimétriques (forages horizontaux) à décamétrique (forages verticaux) . Actuellement un travail de synthèse de l’ensemble des données acquise est en cours (Thèse de S. Carrière) de façon à valoriser les couplages possibles et compléter les mesures existantes par des campagnes en surface. L’ensemble des travaux réalisé au LSBB en géophysique visent à tendre vers une géo-modélisation 4D du système.
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- Des données géodésiques (inclinométrie et gravimétrie) sont également en cours d’acquisition dans le cadre d’une collaboration avec Géosciences Montpellier et constituent un jeu de données particulièrement intéressant qui pourra être prochainement intégré au projet.
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- Les suivis des écoulements directement au sein de la zone non saturée de l’aquifère sont réalisés depuis 2003 pour 4 écoulement pérennes et un écoulement temporaire. Suite à une modification de la pluviométrie en 2008, 56 nouveaux écoulements temporaires sont apparus. Sont mesurés à fréquence bimensuelle pour chaque écoulement en activité les débits, la conductivité électrique, la température, la concentration des ions majeurs et du Carbone Organique Total (COT). Sur certaines périodes, des mesures isotopiques (18O, 13C carbone mineral total dissout, 3H, 14C) et de fluorescence naturelle sont également disponibles. Deux points dont l’écoulement est pérenne sont actuellement suivis au pas de temps horaire en débit, température et conductivité. Très prochainement (en 2011) la fluorescence naturelle sera suivie au pas de temps horaire sur les deux points déjà équipés et 1 à 3 points complémentaires seront équipé pour des suivis en « continu ». L’ensemble de ces données sera à terme accessible via une base de données.
6. Programmation à court et moyen termes
Hydrogéophysique et hydrogéodésie :
Le projet s’intéresse dans une première étape à (i) caractériser avec une large gamme de méthodes géophysiques (méthodes électriques, électromagnétiques, gravimétriques, RMP et sismiques) les propriétés géo-physiques à l’intérieur et au droit de la galerie du LSBB, (ii) relier les résultats avec les connaissances structurales (géologie, présence et niveau de fracturation) et hydrogéologiques (hydrochimie, hydrodynamique) et (iii) proposer, via des études géostatistiques et des répétitions de mesures géophysiques dans le temps (monitoring), un modèle conceptuel du fonctionnement de cette partie de la ZNS du système karstique. La méthodologie pluridisciplinaire développée a notamment pour objectif de préciser les limites de résolution, de sensibilité et la complémentarité des techniques de mesures géophysiques vis-à-vis des mesures hydrogéologiques pour caractériser les paramètres hydrodynamiques en 4D en milieu complexe. Une meilleure compréhension des effets de l’hétérogénéité spatiale et de la profondeur du milieu et des variations temporelles des propriétés hydrogéologiques sera recherchée de façon à développer une approche hydrogéophysique intégrée. Pour l’équipement disponible sur place, les priorités sont (a) l’obtention d’un data logger pour le conductivimètre EM-34 déjà acquis (profondeur d’investigation entre 10 et 40m), (b) l’acquisition d’un conductivimètre EM-31 et (c) la mise en place d’un réseau d’électrodes PS (Potentiels Spontanés), à l’intérieur des galeries autour des points d’infiltration d’eau.
Suivis hydrodynamique et hydrochimique :
Actuellement un suivi bimensuel manuel est réalisé ; la priorité est de pérenniser ce suivi et d’automatiser l’acquisition de données sur des points représentatifs. Trois types de points d’écoulement doivent être distingués : (i) les points dont l’écoulement est pérenne (4 à ce jour), (ii) les points dont l’écoulement est non pérenne mais fréquent (plusieurs jours par an, systématiquement en période pluvieuse, i.e. « prévisibles » - environ 15 points à ce jour), (iii) les points dont l’écoulement est occasionnel, pour des conditions météorologiques particulières (environ 40 points à ce jour). Les 4 points dont l’écoulement est pérenne doivent tous être équipés d’un dispositif d’acquisition en continu de la température, la conductivité électrique, le débit, la fluorescence naturelle et la turbidité. Une sélection de points (ii) représentatifs des différentes typologies d’écoulement devraient être équipés du même dispositif. Dans un premier temps, un ensemble de 5 dispositifs semble pertinent, chacun pouvant être déplacé pour réaliser différentes campagnes d’acquisition. A terme, le nombre de points équipés devra augmenter. Enfin, les points (iii) ne justifient pas d’être équipés d’acquisition en continu sauf pour des campagnes ciblées. Pour cela, il faudrait disposer de 1 dispositif complet qui serait installé sur un point lors du déclenchement de l’écoulement ou lors des mises sous contraintes du système. Par contre tous les points doivent être équipés d’un dispositif de détection de l’écoulement (système en cours de développement). Ces dispositifs permettraient d’une part d’avoir une vision binaire de la durée d’écoulement des points non pérennes et d’autre part d’optimiser les campagnes de prélèvements - analyses. Sur chaque point, l’eau est régulièrement prélevée et analysée. La fréquence de base est bimensuelle, elle est augmentée en période de fortes précipitations. Les éléments suivants sont quantifiés : température, conductivité et pH lors du prélèvement, ions majeurs, carbone organique total, 18O et 13C sur une sélection d’échantillons.